Quelles sont les propositions ministérielles actuelles pour la « Revalorisation socle » ?

« Revalorisation socle » : Les cabinets de conseil ont encore frappé par ce choix de vocabulaire abscons et mensonger.
Le terme est trompeur en effet car il ne s’agit pas d’une revalorisation (rendre de la valeur à notre métier) mais de prolonger des primes et d’accélérer légèrement notre progression de carrière.
La dénomination « socle » renvoie à l’autre volet « pacte » de cette « revalorisation ».
Il y a ainsi une stratégie gouvernementale très claire qui consiste à limiter les gains financiers d’une part pour nous obliger à travailler davantage de l’autre.
Ce n’est donc pas une réelle augmentation de nos salaires basée sur une amélioration de notre grille indiciaire… nous continuons à nous paupériser (- 15 à - 25 % en 20 ans) alors que l’inflation ne cesse d’augmenter.

- Deux hypothèses de partage de la misère :

Le ministre se vante d’une enveloppe de 635 millions d’euros pour la rentrée 2023 (de septembre à décembre) et 1,9 milliard en année pleine.
Il en faudrait pourtant le double pour atteindre les 10 % promis par Emmanuel Macron.

La justification ministérielle des négociations actuelles est de « restaurer l’attractivité du métier enseignant et reconnaître l’engagement des enseignants ».
Deux hypothèses ont été soumises aux organisations syndicales le 24 janvier 2023.
Les agrégé.es sans doute considéré.es par le ministère comme des nanti.es n’apparaissent pas sur les documents de travail. Rien n’est donc prévu pour elles et eux.

L’ hypothèse A concernerait les collègues jusqu’à l’échelon 2 de la hors-classe.
Elle ne prévoit donc aucun gain financier pour les collègues ayant plus de 26 ans d’ancienneté (72 % des personnels).
Les gains ne seraient pas proportionnels aux échelons afin de favoriser les échelons 5 et 6 (entre 6 et 11,5 ans d’ancienneté). Ils gagneraient, le maximum, de 292 euros net de plus contre 82 euros pour l’échelon 1 de la classe normale.
De même l’échelon 1 de la hors-classe aurait 85 euros contre 71 euros pour l’échelon 11 de la classe normale. Où est la logique, si ce n’est d’utiliser le reclassement de la classe normale à la hors-classe en la faisant passer pour une « revalorisation » alors qu’il s’agit d’un dû, de la reconnaissance de notre expérience professionnelle ? Un collègue qui passe à la hors-classe à l’échelon 10 avec moins de 2,5 ans d’ancienneté dans cet échelon sera ainsi reclassé à l’échelon 3 de la hors-classe en conservant cette ancienneté. Il passe alors de l’indice 629 à l’indice 668 et gagne 146 euros net de plus par mois.
A partir de 37 ans de carrière, il n’y a plus aucune progression salariale possible par le biais de la carrière alors que le gouvernement envisage d’allonger l’âge de départ à la retraite à 64 ans.

Selon cette hypothèse A, les gains totaux sur la classe normale seraient de 911 euros net en 26 ans.
Il y a peu de chances que gagner 35 euros de plus par an tout au long de sa carrière en classe normale crée un « choc d’attractivité ».
Quant aux 35 euros pour mettre en avant notre engagement, c’est une obole méprisante et honteuse !

L’ hypothèse B concernerait tous les collègues jusqu’à 43 ans de carrière.
Les échelons 5 et 6 seraient de nouveau les plus « privilégiés » avec 281 euros nets supplémentaires.
Les échelons 1 à 4 auraient des gains moindres (de 82 à 242 euros).
On retrouve des fortes disparités entre les échelons : 85 euros de gain pour l’échelon 1 de la hors classe contre 36 euros de plus pour l’échelon 10.
Ces 36 euros concerneraient les collègues à partir de l’échelon 3 de la hors-classe.

Dans les deux cas,le ministre propose aussi d’augmenter la rémunération des contractuel.les, de supprimer la clause de non-interruption des services d’un an et de relever la reprise d’ancienneté pour les ancien.nes contractuel.les.
Il met aussi en avant l’amélioration du reclassement pour toutes les voies de réussite au concours.
Il envisage également d’améliorer le taux de passage à la hors-classe (de 18 % en 2022 à 22 % en 2025) et d’élargir les promotions à la classe exceptionnelle (limitées actuellement à 10%).

Une nouvelle fois, le ministère fait passer la reconnaissance de notre ancienneté (donc de l’amélioration de nos compétences professionnelles, du profit de notre expérience pour le service public d’Éducation nationale) pour une revalorisation salariale.
Il additionne le dégel estival du point d’indice de 3,5 %, la prime d’attractivité du Grenelle, la prime d’activité (pour les travailleurs pauvres) et la prime informatique pour arriver à faire croire que tou.te.s les collègues seraient revalorisé.es jusqu’à 10 %.

Dans les deux hypothèses, c’est un partage à faire avec une somme fermée selon le dilemme suivant : donner plus à moins de personnes ou moins à davantage de personnes.

 Une hypothèse A qui semble l’emporter avec une augmentation de l’ISOE pour tous :

La seconde réunion ministérielle a eu lieu le 15 février 2023.
Un nouvel objectif y est mis en avant « Fluidifier les déroulements de carrière »… cela nous apportera peut être un peu plus de liquide en fin de mois ?

Ce serait une partie de l’hypothèse A qui l’emporterait actuellement avec la prime d’attractivité prolongée pour les échelons 1 à 6 (donc jusqu’à 11, 5 ans de carrière seulement).
Un.e néo-titulaire commencerait désormais sa carrière avec 2 080 euros nets mais grâce à des primes et pas par l’amélioration de la grille indiciaire.
Rappelons que les primes ne sont pas comptabilisées pour le calcul des pensions de retraite. Elles ne sont pas pérennes non plus.

A cette partie de l’hypothèse A s’ajouteraient les propositions nouvelles sur la hausse et l’alignement de l’ISOE/ISAE ainsi qu’une nouvelle accélération des progressions de carrière.
L’ISOE atteindrait jusqu’à 2 000 euros brut annuel contre 1 255,20 euros bruts actuellement.
Il y aurait un gain brut de près de 745 euros.
Bien que les professeur.es documentalistes soient considéré.es de manière inacceptable comme des « personnels assimilés aux enseignants », dans ce document de travail ministériel, leurs indemnités actuelles seraient aussi augmentées tout comme celles des collègues CPE et Psy-En.

Le taux de passage à la hors-classe serait finalement porté à 23 % en 2025.
Cela permettrait d’avancer d’un an et demi cette promotion.
Le ministère propose enfin de passer la classe exceptionnelle contingentée actuellement à 10 % au taux de 10 ,5 % en 2023 puis 13,5 % en 2026. Le verrou de l’échelon spécial devrait sauter à terme.

Quelles sont les propositions ministérielles actuelles pour la « Revalorisation pacte » ?

Document de travail - Revalorisation pacte

Des justifications ministérielles pompeuses et creuses :

La dernière réunion ministérielle a eu lieu le 8 février 2023.

Le document de travail commence par justifier cette part de « revalorisation ».
 « Tenir compte de l’évolution des métiers et répondre aux nouvelles attentes » : ces formules génériques sont peu compréhensibles. Quels sont ces changements professionnels ? Quelles sont ces nouvelles demandes ? De qui émanent-elles ?
 « Garantir l’exercice de missions prioritaires partout sur le territoire »… seul le remplacement de courte durée est mis en gras dans le document. Ce serait donc la mission prioritaire ? Quelles iniquités territoriales amèneraient à un tel constat ?
 « Valoriser davantage l’exercice de missions complémentaires aux ORS » sous-entend que notre charge de travail doit augmenter notamment par la modification de nos statuts.

Le document reproche au système actuel « des modalités de rémunération […] éclatées entre divers dispositifs » mais il propose dans la phrase suivante « plusieurs dispositifs indemnitaires possibles ».

Il rappelle que ce pacte ne sera pas obligatoire mais assène ensuite de façon très culpabilisante qu’il s’agit de « s’engager dans des missions qui contribuent à l’amélioration du service public de l’éducation ». Il y aurait donc, de façon manichéenne, les bons fonctionnaires et les autres…

- Un pacte à « trente deniers » ?

« Une revalorisation moyenne de 10 % qui s’ajoute à la revalorisation socle, ce qui correspond à + 3 650 € en moyenne par enseignant par an ».
L’ambiguïté de cette formulation ne permet pas de comprendre si les 3 650 euros (net ou brut ?) correspondent à la seule revalorisation « pacte » ou au cumul des deux « revalorisations » (socle et pacte).
S’il s’agit du cumul des « revalorisations » et en partant de l’hypothèse A du ministère, un collègue à l’échelon 5 toucherait 292 euros de plus par mois pour la revalorisation « socle »… il ne resterait donc que 12 euros pour arriver au 304 euros mensuels du pacte !

Quoi qu’il en soit, cette somme, de 304 euros par mois en moyenne, paraît importante mais n’est qu’un leurre.
Elle est bien inférieure à celle que touchent actuellement les collègues qui font déjà la plupart des missions listées dans le pacte : 41 euros brut pour une HSE de certifié.e classe normale, 45 euros brut pour un certifié hors-classe, 59 euros brut pour un agrégé classe normale , 65 euros brut pour un agrégé hors-classe,
121 euros brut en moyenne comme professeur.e principal.e, 125 euros brut pour une IMP, 45 euros brut pour une heure de remplacement de Robien (depuis 2005 majorée de 8,7%) d’un.e certifiée.e classe normale,
49 euros pour une heure de remplacement de Robien pour un.e certifiée.e hors-classe...

Prenons deux exemples concrets :

 Monsieur Y, professeur en collège, certifié à l’échelon 8 de la classe normale avec 16 ans d’ancienneté (donc non bénéficiaire de la « revalorisation socle » selon les dernières hypothèses).
En étant professeur principal en 5è (92 euros net par mois) et en faisant deux heures de « Devoirs faits » (
222 euros net par mois avec deux heures par semaine trois fois dans le mois), il touche 314 euros de plus par mois.
Avec le pacte, il devra faire obligatoirement des remplacements en plus pour gagner 10 euros de moins (si les 304 euros prévus par le pacte sont du net). Pour l’instant chaque heure de remplacement lui est payée près de 45 euros brut.

 Madame X, professeure en lycée, certifiée à l’échelon 2 de la hors-classe avec 22 ans d’ancienneté (donc non bénéficiaire de la « revalorisation socle », ni de la prime d’attractivité Grenelle).
En étant professeure principale en 1re (67 euros net par mois), en étant tutrice d’un collègue stagiaire (125 euros net par mois) et en faisant une heure de remise à niveau par semaine (111 euros net par mois), elle touche 303 euros de plus par mois.
Elle gagnera donc un euro de plus avec le pacte (si les 304 euros prévus par le pacte sont du net) avec ces mêmes missions alors qu’elle devra faire en plus des remplacements qui jusque-là étaient payés 49 euros brut par heure de remplacement.

- Des missions faussement nouvelles marquées par le sceau du « Travailler plus pour gagner moins ! » :

Le document de travail liste ensuite les missions présentées comme « nouvelles » ou « à investir davantage » (cela renvoie de nouveau à l’idée que les enseignant.es n’en feraient pas assez, ne travailleraient pas vraiment...).
Seuls la « coordination/intervention dans des projets innovants issus du CNR », le « mentorat des nouveaux professeurs » et la « découverte des métiers au collège » sont inédits.
Le remplacement de courte durée, l’aide personnalisée, les coordinations, le tutorat, la formation continue, « Devoirs faits », les relations lycée-entreprise en lycées professionnels existent déjà.

Le pacte entend « Améliorer le fonctionnement du service public de l’éducation en valorisant davantage les missions complémentaires ».
Pour ce faire, il faudrait que des « missions essentielles […] soient assurées ».
En un saut de ligne, dans le document de travail, les missions passent donc de « complémentaires » à « essentielles ». Il s’agit en fait des remplacements, de l’aide aux devoirs et de l’aide personnalisée en 6è.
La mission de remplacement est la seule mise en avant en gras pour le second degré.
Elle paraît donc incontournable et centrale dans le pacte.

Le problème des remplacements n’est pas le fait des enseignant.es déjà surchargé.es de travail (la DEPP avance plus de 43 heures de travail hebdomadaires) mais du gouvernement qui ne recrute pas assez de TZR. Il est donc envisagé une nouvelle source d’économies grâce à ce pacte.
Le problème de l’aide aux devoirs est celui de la réelle mise en place d’un service public et pas de l’affichage communicationnel de « Devoirs faits ».
Le problème de l’aide personnalisée en 6è est une question d’horaires et de dédoublements d’effectifs à budgéter. Le ministre pour faire d’autres économies mesquines a supprimé l’heure de technologie en 6è pour financer cette aide.

« Introduire une modularité avec des « panels » de missions plus ou moins importants, afin de garder de la flexibilité et permettre une adhésion large ».
Il s’agirait d’un pacte à la carte mais pas forcément un choix personnel.
La ou le chef.fe d’établissement devrait évaluer les besoins de l’établissement à couvrir puis engager une concertation avec le conseil pédagogique. Il y aurait alors un appel à candidature puis la détermination des missions à exercer entre l’enseignant et la ou le chef.fe d’établissement.
Le « panel » risque donc d’être surtout celui choisi par la ou le chef.fe d’établissement puisqu’il est précisé ensuite qu’il doit y avoir une « évolution du rôle et des missions du chef d’établissement ».
Il s’agit de renforcer la verticalité dans les établissements et le pouvoir des chef.fes-managers.
La mise en œuvre du pacte relève d’une redoutable logique managériale : évaluation des besoins en fin d’année, concertation, appel à candidatures, signature du pacte, etc... Il s’agit donc de négocier et de signer, avec son chef d’établissement, un pacte qui dresse la liste des missions pour lesquelles un.e professeur.e s’engage pour un an, peut-être sous la forme d’une lettre de mission.
Un « suivi » sera assuré par la ou le chef.fe d’établissement : autrement dit, un contrôle de tous les instants pour savoir si les heures ont été bien assurées.

- Quelle forme pourrait avoir la rémunération de ce Pacte informe ?

Trois options ministérielles sont proposées pour formaliser la rémunération du pacte.

Elles pourraient prendre la forme d’une indemnité spéciale avec plusieurs paliers (comme les IMP actuellement) ou d’une nouvelle part variable de l’ISOE.
Nous vous laissons essayer de comprendre cette troisième proposition plutôt nébuleuse :
« Constituer ab initio des « panels » de missions annuelles à partir des HSE et des IMP dont le champ serait élargi ».
Il s’agit donc essentiellement de primes.
Elles sont pourtant des sources majeures d’inégalités salariales femmes/hommes.
Ainsi, si en moyenne 23,2 % des personnels bénéficient d’IMP, cette part est supérieure à la moyenne pour les hommes (25,9 %) et inférieure à la moyenne pour les femmes (21,4 % des enseignantes touchent des IMP). Lorsqu’elles s’engagent dans ces missions, elles touchent un montant moyen inférieur de 35 % à celui des hommes.
Ce pacte va donc renforcer ces inégalités.

Notons enfin que les 72 heures annuelles annoncées par Pap Ndiaye le 2 février ne sont pas mentionnées dans ce document de travail.

Il ne s’agit nullement d’une « revalorisation » mais simplement de nous faire travailler plus pour gagner sûrement moins.
Ce pacte est l’outil de la mise en œuvre de la politique d’Emmanuel Macron : « CNR », primarisation du collège, limitation aux « savoirs fondamentaux », découverte des métiers au collège, mentorat, hiérarchies intermédiaires, management, individualisation des carrières, remise en cause de notre statut, annualisation…
Le pacte marque également une bascule brutale de nos statuts : aujourd’hui, nos métiers s’inscrivent dans une Fonction publique de carrière dans laquelle la rémunération évolue principalement du fait de la progression de carrière dans le temps.
Avec le pacte, on bascule vers une Fonction publique d’emploi dans laquelle la rémunération évolue en fonction du poste occupé et des missions acceptées. Le pacte va obliger les collègues qui auront besoin d’accroître leur rémunération à accepter, sur des bases contractuelles « négociées » avec la ou le chef.fe d’établissement, des rémunérations complémentaires indemnitaires individualisées en échange de missions et d’une charge de travail supplémentaires.

Le pacte s’inscrit lui aussi dans la logique libérale de la réforme des retraites.
En plus de travailler davantage, le gouvernement veut nous faire travailler plus longtemps.