14 mai 2024

Actualité

Pour nos conditions de travail, nos droits, nos élèves : lutter contre le « choc des savoirs »

Pour nos conditions de travail, nos droits, nos élèves : lutter contre le « (…)

Témoignages

Le "choc des savoirs" : le poids des maux.

Que les vents tempêtent sur les têtes qui feront la France de demain n’effraie visiblement pas notre gouvernement qui s’acharne à faire de l’Education Nationale sa priorité en anéantissant son fonctionnement. Le choc des savoirs au collège est la manifestation première de l’amateurisme qui jaillit des cervelles de nos dirigeants. N’est-il pas bien beau que les élèves n’ayant pas obtenu le brevet mais leur orientation se retrouvent dans une classe préparatoire au lycée, dont le programme n’est pas encore établi ? N’est-il pas beau que ce même diplôme subisse les foudres d’une autorité souhaitant le rendre plus difficile à obtenir ? La disparition des correctifs académiques annonce celle de la prise en compte des spécificités de nos élèves. N’est-il pas splendide qu’une telle uniformisation s’immisce au creux de nos humanités ?
Les groupes de niveau en maths et français viendront renforcer une éducation à deux vitesses, stigmatisant dès le berceau ceux qui auront eu le malheur d’appartenir au groupe le plus « faible » face à ceux qui seront catégorisés parmi les « forts ». La loi du plus fort serait donc la meilleure ? Une telle mesure serait-elle véritablement salvatrice ? Quels moyens seront réservés à de telles opérations ? Justement, le budget de l’Education Nationale n’aurait-il pas récemment fortement baissé ? « Rien n’a de sens et rien ne va » pourrait-on dire.
Le désenchantement est total : la confiance dans l’équipe éducative se fait rare. On entache la liberté pédagogique. On ligote les enseignants de collège avec des contraintes d’emploi du temps. Les groupes de niveau vont nécessiter la présence continuelle de chacun au sein de l’établissement. C’est la préparation des cours qui en fera les frais. Il est bien beau que les maths et le français apparaissent comme des enseignements dès l’école maternelle. C’est sans compter sur l’évolution individuelle de l’être humain. Il est bien beau que des manuels scolaires aient besoin de l’agrément du gouvernement pour être publiés. C’est ne plus faire confiance aux enseignants qui ont passé un concours spécialement prévu pour façonner leur enseignement. Big Brother nous regarderait-il ?
Il y a urgence à remodeler l’Education Nationale. C’est la même urgence qui gangrène nos lycéens pour qui on prévoit des stages à la fin de l’année de seconde, en même temps que les étudiants en BTS et les élèves de lycée professionnel. Rassurons-nous : le gouvernement a pensé à tout. Une plateforme recense les offres de stage. Autour d’Agen, il y avait 4 offres...
Il y a urgence... Espérons qu’elle ne soit pas tragique.

G.S. et A-S W. collège Jasmin et lycée de Baudre à Agen

« Choc des savoirs » : impacts multiples sur les personnels

Dès les premières annonces du gouvernement il a été acté qu’il y aurait pénurie de professeurs de français et mathématiques. De ce fait, dans mon établissement, les demandes de temps partiel dans ces matières (dont la mienne) ont été refusées, pour être finalement acceptées car solution retenue pour résoudre en partie le casse-tête de l’articulation des services.
Dans notre équipe nous avons l’habitude de travailler ensemble, mais il va falloir passer un cran. Nous devrons adopter non seulement des progressions et des évaluations communes mais aussi organiser des temps de concertations non rémunérés.
Sans compter que malgré mes 25 ans d’expérience en collège, j’appréhende la gestion pédagogique de groupes constitués uniquement d’élèves en grande difficulté.

D. L. collège de Pouillon

« Choc des savoirs » : une casse pédagogique et sociale

Il y a quelques années, en passant du lycée au collège, je me suis trouvé en difficulté. Certains élèves échappaient totalement à mon enseignement. J’ai échafaudé des solutions, avec l’aide d’autres collègues. Voici : nous avons créé des niveaux, pas des groupes, non, des niveaux de difficulté. Les élèves travaillent le même objet. Ils sont plus ou moins étayés. Ils coopèrent : les plus étayés ont en main des solutions que les moins étayés n’ont pas et dont ils ont besoin. Les meilleurs corrigent le travail des plus fragiles, le travail des plus fragiles aide les meilleurs. Très vite, cela porte ses fruits, tous les élèves progressent, des collègues s’y intéressent... et nous nous émerveillons des réussites de chacun.
Puis patatras, on nous annonce les groupes de niveaux, de besoins, on va séparer, caser, casser, araser.. Notre dispositif tombe à l’eau et avec lui, une certaine vision de la société qu’un tel travail fait vivre et offre en perspective à nos élèves : une société où ils peuvent viser un but commun avec des environnements adaptés à tous et toutes, où tout le monde se sait en capacité de nécessiter de l’aide à tout moment, de chacun, et comprend mieux que d’autres en aient besoin. Bref, une société solidaire. L’arrivée du « Choc des Savoirs » c’est le recul sans appel du travail coopératif, et avec lui de la solidarité. Ce n’est pas un vain mot, pourtant, la solidarité.

F.M. collège Simin Palay, Lescar

« Choc des savoirs » : la dépossession du métier

Tristesse et colère se sont emparées de moi depuis l’annonce de la réforme. En tant que professeure de lettres, il m’est insupportable de penser qu’on va m’obliger à trier mes élèves. Cela fait 13 ans que j’enseigne dans un collège REP. Pour que les élèves travaillent et progressent dans de bonnes conditions, nous réclamons des classes hétérogènes à effectifs réduits. L’hétérogénéité est une force et un moteur. Les élèves les plus en difficultés ont des exemples concrets de réussite ou de progrès. C’est pour eux essentiel de comprendre qu’il est possible de progresser pour ne pas rester enfermé dans l’image du mauvais élève. L’élève en réussite approfondit ses apprentissages et s’épanouit dans l’entraide. Je me sens profondément dépossédée de mon métier. Je refuse d’avoir à pratiquer un métier qui ne correspond plus à mes valeurs, qui me prive de ma liberté pédagogique, qui ne me permettra plus de transmettre mon savoir à tous et toutes et qui fabrique une société dans laquelle le mélange est banni.

E. G. collège E. Vaillant à Bordeaux

« Choc des savoirs », tout le monde y perd

Pour moi, le choc des savoirs ne va pas du tout dans le bon sens. Dans mes classes, je vois bien que ce qui fait progresser les élèves, c’est la dynamique de classe avec les plus forts qui tirent toute la classe vers le haut et aussi des projets de classe motivants qui embarquent toute la classe. Les groupes de niveaux, c’est tout le contraire. Les groupes “faibles”, qui auront en plus souvent des effectifs trop lourds, risquent d’être peu stimulants pour les élèves et compliqués pour les enseignants. En plus, j’enseigne le français et, avec les groupes de niveaux français-maths, faire un projet de classe interdisciplinaire avec l’HGEC ou l’anglais sera désormais impossible. Tout le monde y perd : les élèves, surtout les plus en difficulté, et les enseignants dont les conditions de travail se dégradent encore. Il faudrait au contraire des classes hétérogènes et beaucoup moins chargées pour favoriser l’entraide et pratiquer la pédagogie différenciée enfin dans de bonnes conditions.

V. S. du collège J. Rostand à Tartas

Le « choc des savoirs » maltraite les personnels

Avec cette réforme, je me sens maltraitée par l’institution scolaire.
Je suis enseignante, professeure de mathématiques depuis 30 ans ; j’ai choisi ce métier par vocation. Pour moi, l’école a un vrai rôle à jouer dans la formation du futur citoyen.
Plus les années passent, plus je me trouve confrontée à des élèves et des familles en souffrance.
Je me forme à des modes de communication (communication non violente) et d’enseignement qui favorisent le dialogue et la bienveillance ; Le statut de l’erreur est important pour moi : chacun peut se tromper, d’ailleurs on apprend en se trompant ; j’essaye de valoriser les progrès de chacun, surtout pour les élèves en grande difficulté, quel que soit le type de difficulté. Nous sommes d’ailleurs de plus en plus confrontés à une grande hétérogénéité des difficultés : concentration, compréhension, dyslexie, dyspraxie, dysorthographie, dyscalculie…
Je me sens maltraitée de devoir participer à cette réforme.
J’estime que cette réforme va m’obliger à maltraiter les élèves qui me sont confiés.
Classer les élèves par groupes de niveau ne me convient pas. Outre que cela peut être traumatisant pour eux, toutes les études montrent que cela ne tire personne vers le haut, ni les élèves en difficulté, ni ceux plutôt en réussite ; de plus cela colle une étiquette aux élèves.
Je me sens maltraitée car je n’aurai plus de groupe classe, je verrai défiler des groupes d’élèves qui changeront tous les deux mois ; je n’aurai plus le temps de connaitre les élèves, et je ne pourrai plus mettre en place un mode de fonctionnement avec mes classes, selon mes valeurs, mon éthique, mon expérience, ce mode évolutif construit au fur et à mesure des années.
Je me sens maltraitée car je ne pourrai pas instaurer un dialogue constructif et suivi avec les familles, ne suivant pas les élèves toute l’année. Le dialogue avec les familles s’en trouvera empêché. Quid du suivi de l’élève ?
Je me sens maltraitée car on va me demander d’être professeure principale d’une classe dont je connaitrai peu voire pas du tout les élèves.
Je me sens maltraitée également au niveau local, car on me demande de me concerter avec des collègues dont certains ne tiennent aucun compte des autres, dont les valeurs sont en totale opposition avec les miennes ; cette concertation sera impossible, improductive, inefficace, source de conflits et de mal-être pour ma part.
Je me sens maltraitée car l’institution décrète des « y’a qu’à », et ensuite nous devons faire.
A aucun moment on ne recueille notre avis, nous, qui travaillons tous les jours avec les « vrais » élèves, qui sommes dans la réalité du métier.
Je me sens maltraitée car je ne pourrai plus faire de projet avec les classes ; or les projets renforcent la dynamique du groupe classe, permettent de voir l’élève sous un autre angle, permettent à l’élève d’avoir une relation différente avec son professeur, permettent de changer d’objet d’enseignement.
Je me sens maltraitée car mon sentiment est que cette réforme va déshumaniser l’école : on nous retire l’humanité du métier, qui est l’essence même de cette profession.
Je me sens maltraitée car les contraintes d’alignements des groupes seront telles que les emplois du temps de tous les enseignants s’en trouveront impactés. La qualité de l’ambiance de travail et de l’implication de chacun s’en trouvera détériorée.
Je me sens maltraitée car on nous demande de faire preuve d’empathie et de bienveillance vis-à-vis des élèves (et des familles) ; quid de l’empathie et de la bienveillance vis-à-vis des acteurs de l’éducation ?
Si l’institution a bien saisi que le nombre d’élèves avec lequel nous travaillons a un réel impact sur les progrès des élèves, pourquoi ne pas travailler avec davantage d’heures en demi-classe, tout simplement, en gardant le groupe classe ?

E. R. du collège J. Prévert à Mimizan