De quoi Santorin est-il le nom ?

Une destination de vacances pour éviter le burn out des correcteurs du BAC ?

Plus nos conditions de travail se dégradent plus la novlangue managériale enrobe les outils de notre aliénation de termes évoquant le parfum des vacances et de l’évasion. C’est bien connu les profs sont toujours en vacances mais oubliez l’archipel paradisiaque, Santorin n’est que le nom d’une plateforme numérique de correction, introduite sans concertation en 2021 et qui, au nom de la modernité, s’impose à tous les correcteurs du BAC cette année.

Avant de dire ce dont Santorin est réellement le nom, commençons par dire ce qu’il n’est pas.

Tout d’abord, Santorin n’est pas écologique, c’est même une aberration écologique. Rappelons que les élèves composent sur des copies papier. Des milliers de pages sont ensuite scannées dans les établissements, transportées via des réseaux, stockées sur des serveurs puis corrigées par les professeurs sur leurs ordinateurs personnels, à raison de plusieurs heures de connexion par jour. Pour notre ministère qui prône pourtant la responsabilité environnementale des fonctionnaires, le coût énergétique de toutes ces opérations n’est pas un sujet. Là encore la novlangue parle de copies « dématérialisées » alors qu’elles sont simplement « numérisées » et que cette numérisation a bien un coût matériel !
Santorin n’est pas non plus un moyen de sécuriser la correction, bien au contraire. Le SIEC lui-même reconnaît que la perte de copies d’examen est un fait rarissime. En revanche, l’expérience de l’année dernière a montré que les risques de « bugs », d’erreurs, de numérisation incomplète sont inhérents à l’outil Santorin. S’ajoute aux risques inévitables de perte ou d’effacement accidentel de données, la question de la sécurité et de la confidentialité de ces données. Les lots de copies anonymes apparaissent puis disparaissent sur les boîtes de réception des correcteurs sans que ceux-ci puissent savoir qui a accès à ces copies et qui en est responsable. Un correcteur peut commencer à corriger un lot de copies qui le lendemain sera attribué à un autre, sans avertissement ni explication. Outre, le mépris pour le travail effectué, cela pose la question du statut juridique de la copie d’examen qui peut ainsi « voyager » d’écran en écran. Rappelons enfin que la plupart des data centers hébergeant les données sont détenus par les GAFAM, qui ne sont pas connus pour leurs scrupules en matière d’exploitation des données personnelles.

Santorin est-il au moins, un outil qui simplifie la tâche de correction ?

Pas vraiment. La lecture sur écran est pénible et interdit toute vision d’ensemble, les copies sont parfois mal scannées, dans le désordre, à l’encre claire presque illisible. Annoter ou souligner via l’interface est beaucoup plus long et fastidieux que les annotations à la main et il faut une connexion rapide et un matériel informatique récent. Interrogée à plusieurs reprises sur l’intérêt que présentait pour les professeurs, la correction dématérialisée, la DEC n’a pu formuler que deux « avantages » bien maigres : la possibilité de « brasser » les paquets et de mieux répartir les copies et l’économie du déplacement.

Santorin est très utile mais pas pour ces « usagers ».

Soyons clairs, ce qu’on nous impose c’est un outil managérial de contrôle et de gain de productivité ou pour le dire plus crûment, une pointeuse doublée d’un système espion installé à domicile. La logique tayloriste assumée de la plateforme vise à augmenter la productivité en alourdissant la charge de correction. Un décompte du temps restant de correction par lot est d’ailleurs affiché dès l’ouverture de la fenêtre. Quant à la surveillance, Santorin peut contrôler, à chaque instant, si l’on est devant son ordinateur, le temps moyen que l’on passe par copie, la note et l’appréciation que l’on met, l’écart entre notre moyenne et celle de l’académie…

Chacun peut voir le nom des autres correcteurs connectés et lors des réunions d’harmonisation, les « résultats » de chaque correcteur sont affichés sous forme de courbes et d’histogrammes, ce qui permet de pratiquer un « name and shame » efficace visant à faire rentrer dans le
rang les professeurs récalcitrants. On aimerait ainsi nous laisser croire que le dieu algorithme permettrait d’uniformiser la correction au point de lisser au maximum les écarts d’un correcteur à l’autre alors qu’en réalité on ne fait qu’ajouter de l’aléatoire à l’arbitraire. Vouloir égaliser mécaniquement des moyennes obtenues sur des échantillons différents est artificiel et absurde. La seule harmonisation véritable ne s’obtient qu’à la suite d’une lecture croisée des copies litigieuses afin de dégager un consensus, ce n’est pas encore ce que nous offre la machine, aussi intelligente soit-elle.

École numérique à vendre.

S’il est certain que la volonté d’empêcher dorénavant toute possibilité de rétention des copies (donc en réalité de limiter le droit de grève) n’a pas été étrangère au désir de « Big Blanquer » de pouvoir lire en temps réel au-dessus de l’épaule de chaque enseignant. Il faut revoir son discours introductif aux « assises de l’intelligence artificielle à l’école » pour comprendre qu’il y a derrière Santorin, comme derrière tout le processus de numérisation un projet d’ouverture du marché scolaire aux acteurs privés. En effet, contraindre régulièrement les enseignants à soumettre leurs élèves à des évaluations standardisées permet de collecter et d’affiner des données qui serviront ensuite à concevoir des logiciels « d’aide à l’apprentissage, à la mémorisation, à l’évaluation » de plus en plus fins et personnalisés. Il y a là un marché juteux pour des concepteurs de logiciels éducatifs qui, au nom de la révolution numérique et du progrès, nous vendent de plus en plus cher ce dont nous n’avons pas besoin. Pire, pour augmenter la performance de leurs assistants numériques intelligents qui, à terme, doivent pouvoir équiper chaque élève dans sa scolarité, les vendeurs de logiciels utilisent les données collectées grâce aux logiciels d’évaluations qu’ils ont auparavant pris la précaution de vendre à notre ministère. La boucle est ainsi bouclée, surtout ne vous pendez pas avec !

Larissa PAULIN pour le SNES-FSU de Gironde.