Des inégalités toujours présentes
Conçue à l’origine pour résoudre les problèmes d’inégalités scolaires, la réforme de 2016 n’a pas atteint ses objectifs. La philosophie même de cette réforme ne pouvait conduire qu’à son échec. Il aurait fallu développer la carte de formation des collèges et démocratiser certaines options (Bilangue, latin) en permettant leur accès à tous les élèves. Certaines ont été supprimées à cause de leurs conditions d’enseignement dégradées et de leur financement soumis à des choix locaux dépendant de la marge horaire de trois heures. Alors que pour lutter contre les inégalités, il aurait fallu inscrire des dédoublements dans l’ensemble des horaires disciplinaires. Là aussi, tout a été renvoyé au local. Les aménagements de la réforme sous Blanquer ont conduit à toujours plus d’autonomie et de concurrence entre personnels, disciplines et établissements. La situation est d’autant plus intenable que le collège a connu ces dernières années une forte progression démographique qui n’a pas été accompagnée de moyens suffisants. Les conditions d’enseignement et d’étude s’y sont lentement dégradées alors que le ministère ne sait qu’empiler des dispositifs.
Un empilement de dispositifs
Le collège subit une réforme en continue depuis celle de 2016 faite de l’empilement de dispositifs divers et variés dont le plus emblématique est le quart d’heure lecture capable de résoudre tout à la fois les problèmes de discipline et les difficultés des élèves et tout cela sans coûter un centime. Sans texte réglementaire, sans horaires et en concurrence directe avec les enseignements, ces dispositifs prolifèrent, permettant de saper l’idée d’un collège unique commun. Ils doivent permettre d’adapter le collège aux besoins supposés de son public. Ainsi la loi Blanquer, conforme à cette idéologie, proposait-elle dans son texte initial des établissements des savoirs fondamentaux pour les pauvres et des établissements internationaux (EPLEI) pour les privilégiés. La future réforme de l’éducation prioritaire s’inscrit totalement dans ce cadre puis qu’il s’agit selon les rapports de délabelliser les établissements REP pour les faire passer dans une gestion académique en opposant les besoins des collèges ruraux et de ceux de l’ éducation prioritaire. La conséquence est forcément une dénaturation des enseignements en fonction des élèves. Si l’on pousse la logique jusqu’au bout, il faudrait s’adapter aux besoins de chaque élève. Cette idéologie de l’individualisation est impossible à tenir et intenable pour les collègues qui souffrent déjà d’une mise en œuvre à marche forcée et contreproductive de l’inclusion.
Une évaluation délétère
La réforme de l’évaluation qui a accompagné celle du collège participe aussi à cette perte de sens. Ainsi, la session du DNB a-t-elle donné lieu à un véritable tripatouillage. On a demandé aux établissements qui n’évaluent qu’en compétences de transformer en notes en fonction d’une échelle bricolée à la hâte. Au final, comme pour le baccalauréat, les résultats sont bons. Il semble paradoxal alors que le ministère fait valider l’acquisition du socle chaque année à la fin de l’année de 3e que ces mêmes élèves repassent des tests à l’entrée de la seconde en français et en mathématique. Le ministère refuse de revenir an arrière sur cette question. Les enseignants sont dépossédés de l’évaluation qui accompagne normalement l’acquisition et ont trop souvent l’impression de produire un travail tout à la fois inutile et mauvais.
Une GRH pesante
A cela se rajoute en collège l’omniprésence des chefs d’établissement qui sont la courroie de transmission des diverses injonctions pleuvant depuis le ministère. Les relations s’y tendent car la mainmise de cette hiérarchie s’exerce dans des domaines qui ne semblent pas légitimement les siens, notamment les questions pédagogiques comme l’évaluation. Face à l’hétérogénéité des publics et aux difficultés (scolaires, comportements) trop souvent la responsabilité est renvoyée aux enseignants à qui est reproché de ne pas avoir su trouver la bonne réponse pédagogique. On est loin de la bienveillance prônée officiellement. Comment les enseignants de collège pourraient-ils avoir confiance en une administration qui les maltraite depuis des années et n’apporte aucune solution aux difficultés quotidiennes de l’exercice de leur métier.
Pourtant, les moyens de résister existent. De nombreuses injonctions ne s’appuient pas sur des obligations règlementaires. Il faut donc refuser de faire ce qui dénature notre métier et refuser de perdre du temps et de l’énergie à mettre en œuvre les différents dispositifs poudre aux yeux proposés par le ministère. Ce refus aura d’autant plus de poids qu’il sera porté collectivement par les enseignants. Résister en collège c’est se rapproprier son métier : avoir la main dessus pour refuser ce qui l’empêche et lui fait perdre du sens.
Fabienne Sentex