Faudra-t-il être animé-e d’un optimisme béat et pathologiquement privé-e de mémoire, pour adhérer tant soit peu à la démarche « Notre école, faisons-la ensemble »1.
Comment s’y engager en effet après tant d’années de déstruc-tura-tion méthodique du service public d’Education nationale. Rappelons notamment, la suppression massive et continue de postes provoquant la surcharge chronique des effectifs d’élèves, l’imposition à marche forcée d’une série de réformes (école, collège, lycée) essentiellement technocratiques et commandées par l’idéologie néolibérale de « faire mieux avec moins », et ce sans jamais établir de bilan intermédiaire avec les principaux acteur-s, enseignant-es et éducateurs. Dénonçons à nouveau la déconsidération récurrente de la profession sous la forme du gel général des salaires, de l’individualisation de la relation salariale et de la relation pédagogique, la mise en accusation publique d’inertie voire de paresse professionnelles, la gestion autoritaire (quasiment pas concertée) de la crise sanitaire…
Et voilà que sans vergogne, le gouvernement, relayé par la Rectrice, nous invite à « faire émerger (…) des initiatives visant à améliorer la réussite et le bien-être des élèves, et à réduire les inégalités ».
Comique ou pathétique ?
Nous sommes ainsi à nouveau invité-e-s à la concertation pour « faire émerger des initiatives de nature à améliorer la réussite et le bien-être des élèves. Est-ce à dire que le travail des enseignant-e-s, les conseils d’enseignement et les conseils pédagogiques n’y concourent pas ? Puis, si besoin, nous les profanes, pourrons encore nous tourner vers les expert-e-s d’un groupe académique, expert-e-s qui nous expliqueront vraisemblablement comment bien faire sans moyens enseignants supplémentaires. Nous pourrons alors dégager une « communauté de pratiques » pour « Notre école ». Mais que faisons-nous dans nos établissements à longueur d’années ?
De surcroît, nous sommes invité-e-s sur la base du volontariat. D’abord, cette « liberté » laissée à nos éventuelles initiatives montre au fond l’importance qu’accorde le Ministère à son nième initiative, à son objet surtout, i.e. très faible. Plus fondamentalement, cette « liberté » illustre à notre encontre, la montée en puissance et la légitimation progressive de la rémunération individualisée (les 10% d’augmentation potentielle), fondée sur la contre-partie d’un travail supplémentaire
Le Ministre nous explique quant-à lui, dans son « guide méthodologique » (dont le contenu est affligeant de banalités et d’enfoncement de portes ouvertes pour qui s’occupe de participer et/ou d’animer des collectifs de travail c’est à dire nous tou-te-s), que nous allons ainsi, avec les familles et les élèves permettre la « réappropriation » de l’école par la société.
Mais M. Le Ministre, chaque jour, élèves, parents, personnels portent l’école, très intimement, de façon très investie, de façon appropriée.
Nous pourrions ainsi par la magie de la nième concertation sans moyens substantiels additionnels, favoriser l’élévation du niveau de tou-te-s les élèves (avec l’aporie de l’excellence pour tou-te-s) , tout en réduisant les inégalités scolaires, qui sont en fait très essentiellement de nature sociologique (i.e. qui trouvent d’abord leur racines dans l’injustice de l’organisation sociale tout entière, hors de l’école) et installer le bien-être et la bienveillance pour les gamin-e-s qui nous sont confié-e-s (comment faire dans une classe de 35 élèves dont un tiers est en pleine dissipation par exemple ?)
Sans moyens ? Non, nous exagérons : deux journées banalisées nous permettront de réinventer l’au chaude et le fil à couper le beurre de la « pédagogie de la réussite ». Et une maigre enveloppe nationale de 500 millions d’€ dédiée à l’innovation pédagogique nous sera potentiellement accessible, si notre projet est retenu par une nième commission Théodule. Ainsi, au moment où il rechigne à acter le rattrapage salarial des pertes de pouvoir d’achat, à recréer massivement des postes, à entendre le profession qui ne cesse de dénoncer les effets délétères des mauvaises réformes comme celle du lycée et de Parcoursup, le gouvernement nous « invite » à aller quérir les moyens nécessaires à … faire notre travail : augmentation de salaire réel (i.e. en tenant compte de l’inflation) exclusivement fondée sur de l’ engagement supplémentaire, et finances pour acquérir du matériel, organiser une sortie ou faire venir un prestataire, que les dotations publiques, nationales et locales, ne permettent pas actuellement de couvrir.
Avec cette nouvelle proposition issue du Conseil National de la Refondation (appellation qui usurpe avec une particulière indignité, l’identité profondément civilisatrice du Conseil National de la Résistance), la casse du Service public d’Education Nationale franchit une nouvelle étape de manipulation des consciences : faire acter par la communauté éducative le renoncement de l’Etat aux engagements réellement nationaux, en transférant la charge politique de la responsabilité du service public à l’initiative personnelle. Le cynisme est porté à un degré jamais égalé. A moins qu’il ne s’agisse d’un effet de croyance de charbonnier-e, dans les vertus civilisatrice de la société néo-libérale. Grave, grave…
Sami Bouri