Une réflexion personnelle sur les « feuilles de route RH »
• de l’académie de Bordeaux :
https://www.ac-bordeaux.fr/media/24701/download
• de l’académie de Versailles :
http://cache.media.education.gouv.fr/file/feuille_de_route_RH/76/0/DELCOM_Feuille_de_route_RH_pages_interieures_26_05_21_1409760.pdf

Les feuilles de route pour les ressources humaines de l’après-Grenelle : Attachez vos ceintures !

 
Lors de sa prestation on ne peut plus confidentielle (autour de 2 000 personnes l’ayant suivi en direct sur Youtube) du mercredi 26 mai, Blanquer a laissé croire que le « dialogue social », à l’instar des « jours heureux » était de retour.
Les applications de ses douze engagements (herculéens ?) devraient être discutées avec les organisations syndicales en juin-juillet.
Néanmoins, dès le lendemain, la Rectrice de Bordeaux nous envoyait la « feuille de route pour les ressources humaines » de son académie, y déclinant promptement le discours programmatique blanquérien de la veille. Tout nous serait donc encore et déjà imposé…
La dimension nationale de notre École et de notre métier est derechef mise à mal car chaque académie propose sa propre « feuille de route » pour les enseignants qui y travaillent.
 

Celle de Bordeaux a été élaborée, entre autre, avec les « experts pédagogiques » que seraient les personnels de direction (page 2)… cela part donc très mal.

Ses titres et sous-titres programmatiques multiplient le vocabulaire positif de la novlangue administrative pour mieux en masquer les dangers : « reconnaissance », « ouverture », « valoriser », « Qualité de vie au travail » (avec un Q majuscule dans le texte), « soutien » et le très prisé « accompagnement » qui accompagne toute formule managériale désormais.
On peut apprécier, page 3, la reprise du travail de la FSU en CHSCTA pour faire inclure un article protecteur contre les parents intrusifs dans tous les règlements intérieurs des établissements scolaires du second degré.
 
Pour le reste, c’est la mise en avant des hiérarchies, d’abord celle des chefs d’établissements recruteurs et évaluateurs notamment dans les « comités d’expert » pour juger de nos avancements de carrière…
Il s’agit de les renforcer par le projet expérimental de la Mission Académique de l’Encadrement (MAE) qui vise à identifier « un vivier de talent mobilisable rapidement sur des fonctions d’encadrement ».
La formation continue collective sera « étroitement articulée » avec l’évaluation des établissements. Elle proposera des formations pluricatégorielles et pluridisciplinaires, de « partager et de mutualiser des pratiques entre établissements » pour « dépasser certains blocages (faire taire les critiques ?) » , de réfléchir en « collectifs apprenants » aux pratiques dans des Laboratoires de l’Analyse de l’Activité de Classe...
Il y aurait 18 heures de formation possibles par an dont au moins trois jours garantis.
Il est pourtant à craindre du renforcement de l’offre en distanciel (page 6).
Le numérique serait aussi utilisé pour « digitaliser » les procédures RH, pour mettre en place un Chatbot, des webminaires, des FAQ, un « outil de comparateur de mobilité », pour « fluidifier les échanges entre les agents et l’administration »… C’est une étrange manière de créer « une relation plus directe entre employeur et employé » mais à distance, par écrans interposés.
Pour les interlocuteurs humains, nous aurons la chance de profiter des 25 conseillers RH de proximité dans l’académie… soit un pour 2 000 enseignants !
 

Mais ne nous plaignons pas trop car c’est la feuille de route pour les ressources humaines de Versailles qui franchit allégrement (pas en référence à Claude quoique…) les lignes blanches et rouges.

Elle contredit totalement la possibilité de négociations syndicales avec Blanquer car elle applique de façon zélée ses lubies destructrices pour notre profession : la verticalité du pouvoir et la flexibilité des exécutants.
Rappelons qu’en 2018, Macron avait fait modifier les textes réglementaires pour pistonner sa camarade de l’ENA, Charline Avenel au poste de rectrice de l’académie de Versailles.
https://www.lemonde.fr/education/article/2018/10/04/le-gouvernement-change-les-regles-de-nomination-des-recteurs_5364498_1473685.html
 
L’académie de Versailles pense donc l’École républicaine comme une entreprise privée et plus comme un service public.
Il s’agit ainsi, page 9, d’« attirer des talents en améliorant la marque employeur », de repérer des « viviers sur les réseaux professionnels », « de mettre en place un speed-dating des nouveaux inspecteurs », de « s’engager sur le bâti scolaire dans le cadre du club des partenaires », d’« infuser la culture de la performance », de « mobiliser des managers de transition », de « diffuser une culture managériale partagée et des compétences de gestion de projets », de « créer un « club des managers » pour partager les bonnes pratiques...
 
Les hiérarchies intermédiaires sont à l’honneur avec la volonté de « faire émerger des équipes « de direction » pour épauler les chefs d’établissement ».
Elles sont décrites page 23 :
« reconnaître des fonctions en établissement qui articulent enseignement et responsabilités permettant de constituer une équipe « d’encadrement intermédiaire » en appui de l’équipe de direction (responsables par niveau, coordinateurs numériques, coordinateur formateur et mentorat, coordinateur orientation et relation avec le monde économique) ».
Il est aussi pensé l’expérimentation de « secrétaire (surveillant ?) général de territoire » pour plusieurs établissements…
 
Comment faire pour recruter et remercier ces nouveaux contremaîtres ?
« Par la logique d’open badge » et en prévoyant des « éléments de rémunération »… la docilité et la soumission ne coûtent pas très cher.
 
La polyvalence et la remise en cause des statuts apparaissent page 29 avec la nomination de « référents inter-degrés par binômes 1er et 2d degré sur des postes à profil », avec la création de « communauté apprenante inter-degré », avec la nomination d’ « enseignants du 2d degré en tant que « référents de mathématiques ou « référents langues vivantes » de circonscription », avec la simplification des « modalités de valorisation des travaux d’enseignants du 1er degré au sein des collèges et des professeurs du 2d degré au sein des écoles »…
A travers ces « synergies inter-degré », nous voyons ressurgir l’École du Socle permettant enfin de nous rendre interchangeables.
 
Pour les remplacements, il est prévu de mettre en place « la mallette du chef d’établissement » (bonne pratique de budgétisation du remplacement, de sollicitation des enseignants, d’accueil des remplaçants…) et « la mallette du remplaçant » (bonnes pratiques d’articulation avec l’enseignant absent, contenus pédagogiques adaptés en fonction de la durée de l’absence) ».
Avec ces mallettes, l’enseignant concepteur et expert pédagogique peut faire ses valises.
 
Il serait possible aussi d’expérimenter « pour des absences de courte durée du remplacement à distance via l’outil du CNED ou la mobilisation d’un vivier élargi d’enseignants volontaires en visioconférences ».
Le Val d’Oise teste déjà les « territoires numériques éducatifs » avec notamment des kits d’enseignements hybrides qui permettent « de transformer rapidement sa salle en espace de travail distant ». Votre collègue est absent… Pas de problème avec votre caméra dans votre salle vous pouvez assurer son cours tout en faisant le vôtre.
 
Le numérique n’est pas pensé comme un outil supplémentaire à la disposition des enseignants mais bien comme un moyen de réduire les personnels, de les normer et de les surveiller toujours davantage.
 
Ainsi, les formations seraient déterminées par un « outil innovant d’intelligence artificielle » et assurées par le développement des parcours hybrides innovants, du micro-learning (?).
Les collègues seraient évalués par un « outil de suivi des compétences » en accélérant « le déploiement d’Open badge ».
Ils s’épanouiraient dans les « salle des profs 4.0 » (?), Labs, tiers-lieux... ».
Page 18, « le développement d’outils numériques permettra également de dégager des ressources pour les redéployer en soutien et en renfort d’une approche RH souhaitée plus humaine (ce n’est donc qu’un souhait) ».
Comment faire plus humain avec moins d’humains ?
En développant des nouveaux services numériques froids et impersonnels : « assistant virtuel de type « Chatbot », outil de data visualisation, « casier numérique sécurisé », outil de « ticketing », « serveur vocal interactif »...
 
Enfin, ne faut-il pas voir dans la création d’un baromètre du bien-être (page 13) l’aveu institutionnel de notre souffrance au travail ? N’oublions pas que ce sont les mêmes qui ont décidé la destruction programmée des CHSCT alors qu’ils ont démontré toute leur utilité avec cette crise sanitaire.
Il est reconnu, page 15, qu’il faut « mettre en œuvre la responsabilité sociale de l’employeur » notamment par l’utilisation renforcée de la protection fonctionnelle, par le renforcement de la médecine du travail et par une meilleure prévention des risques psycho-sociaux.
Va-t-on enfin choyer les travailleurs dans l’Éducation nationale ? Oui, mais pas tous.
Il faut d’abord « prendre soin de nos cadres » (page 24).
Dans l’École de l’obéissance blanquérienne, la priorité c’est la hiérarchie !
 
Cyrille Orlowski.