Des Etats généraux peu investis et peu tournés vers les enseignants :
En allant sur la plateforme ministérielle dédiée à cet évènement, qui se devait être planétaire au moins, force est de constater que les EGN n’ont donné lieu qu’à 724 propositions et réuni 2 490 participants lors de 5 forums participatifs… Rappelons que nous sommes 870 900 enseignants en France.
https://etats-generaux-du-numerique.education.gouv.fr/
Dans la vidéo de clôture des ENG, le Ministre va, lui, comptabiliser jusqu’à près d’un millier de propositions (l’animateur commente alors « ouais, c’est énorme ! »).
Pourtant dans le mail de propagande ministériel de cette semaine, un autre lien
https://behavior.welkom.io/mirroring/aavpjzjzmavqmjdvajzjzkzj-zvzvzvzjzv/supervised
donne des chiffres qui diffèrent à nouveau avec 670 propositions (pour 30 000 contributeurs ? en fait celles et ceux qui ont rempli le questionnaire en ligne) sur la plateforme participative (ouverte à n’importe qui) et 2 300 participants.
Notre Ministre est-il lui aussi atteint par la baisse du niveau en mathématiques ?
Il recensait la semaine dernière 3 528 élèves malades du Covid-19 tandis que Santé Publique France en dénombrait 26 871 soit près de 7,5 fois plus.
On peut lui reconnaître que le contexte sanitaire et le confinement n’ont pas permis de réunir beaucoup de personnes physiquement en effet.
Les « débats » des EGN ont été assez déséquilibrés car menés essentiellement par des cadres et des élus ayant un intérêt à prôner la numérisation massive de l’Education nationale notamment les starts-up réunies dans la Ed Tech France (https://edtechfrance.fr/les-entreprises-membres/) ou des entreprises transnationales comme Microsoft au sein de l’AFINEF (https://www.afinef.net/a-propos/entreprises-membres/ ).
Parmi les chanceuses et les chanceux conviés :
Le maire de Poitiers, notre rectrice, le DEGESCO, le directeur du numérique pour l’éducation, le secrétaire général de l’OCDE, la sous-directrice générale de l’éducation pour l’UNESCO, la secrétaire générale du Conseil de l’Europe, le commissaire européen du numérique Thierry Breton, la présidente de l’association Les Editeurs d’Education, le président de l’AFINEF, le directeur général Ed Tech France, le directeur de PIX, la ministre de la transformation et de la fonction publique, la déléguée générale de la Fondation Dassault Systèmes…
Parmi ces intervenants qui ont eu la chance d’être mis en avant, aucun enseignant !
https://etats-generaux-du-numerique.education.gouv.fr/conferences/programme-egn/program/158%E2%80%8B
Les conclusions de Blanquer sur les Etats généraux :
Au final, quarante propositions ont été faites.
Blanquer conclut (en lisant laborieusement les notes qui lui ont été préparées) sur la volonté d’avoir un retour d’expériences sur le confinement et de tracer des perspectives à travers ces EGN. https://etats-generaux-du-numerique.education.gouv.fr/conferences/programme-egn/program/158%E2%80%8B#conference-day-tab-1
Il retient donc l’idée de créer des « territoires numériques éducatifs » et la volonté de résorber la fracture numérique (Plan fibre pour raccorder les établissements, équipement d’élèves du 1er degré défavorisés et de jeunes professeurs dans l’Aisne et le Val d’Oise, création d’un numéro vert pour des sites éducatifs).
Il évoque ensuite la systématisation de l’enseignement de la programmation dès le primaire, la spécialité NSI (qu’il ne sait pas nommer correctement).
Il met en avant l’importance de la certification des compétences informatiques avec PIX.
Il parle d’une « contagion de PIX » vers les parents et les enseignants, faut-il renforcer le protocole sanitaire numérique ?
La dimension de protection numérique « est le socle de ce que l’on a à faire », un comité d’éthique de la protection des données a été créé au ministère de l’Education nationale.
« On doit protéger les élèves contre l’addiction trop forte aux écrans » qui fait baisser l’activité physique et le temps de lecture mais aussi contre le cyberharcèlement notamment grâce aux ambassadeurs contre le harcèlement dans les établissements.
Il s’enorgueillit d’une grande « coalition » de l’UNESCO contre le cyberharcèlement dont il a « provoqué l’existence » avec Madame Macron .
Il souhaite un « moule numérique de l’Education nationale » pour être un « incubateur » pour les Ed Techs françaises avec une vocation internationale.
Il évoque CANOPE, l’ONISEP (avec l’aide d’intelligence artificielle), un Inspé, un institut de formation des enseignants à distance.
100 000 professeurs auraient été formés depuis le début du confinement,
Il souhaite un modèle numérique souverain européen notamment pour préserver les droits (RGPD, GAIA X, le « cloud de confiance », les logiciels libres).
Il semble intéressé par la proposition 37 de création d’un datahub pour « valoriser les données du monde pédagogique avec une valeur ajoutée ». Il s’agit donc de constituer des métadonnées sur les élèves et leurs enseignants.
« Je suis très ouvert » à aider la filière Ed Tech, l’Education nationale devrait être un « tremplin » pour elles notamment par des partenariats (public/privé). Il aurait 30 millions d’euros pour elles (en fait le budget des « investissements d’avenir » et du plan de relance).
Il est favorable à la proposition 9 d’un compte ressource et services numériques pour chaque enseignant. Cela avait déjà été proposé sans grand succès sous le ministère de Luc Châtel (2009-2012).
Il évoque la possibilité d’une prime informatique dès l’année prochaine sans pourtant l’affirmer.
Ces EGN sont donc une étape… ou de l’épate ?
Il rendra ses arbitrages sur les quarante propositions lors des conclusions du Grenelle de l’Education prévues fin janvier 2021.
Blanquer se vante d’avoir un budget de 10 millions d’euros pour le numérique éducatif.
Sous le quinquennat précédent 300 millions lui avaient été consacrés.
Les propositions thèmes par thèmes :
Elles regroupent des champs très divers liés à l’informatique et du numérique.
Il y a des propositions réjouissantes :
• Nous former (proposition 6)
• Equiper et aider les élèves et leurs parents défavorisés (propositions 16, 19 et 21)
• Nous donner une prime d’équipement et l’accès au « Pass’connexion éducation » pour bénéficier de services gratuits ou à tarifs réduits (propositions 17 et 19)
• Avoir un technicien informatique par établissement (proposition 18)
• Equiper spécifiquement les élèves en inclusion (proposition 22)
• Encourager d’utiliser des matériaux recyclés (proposition 29), faire valoir le droit à la déconnexion (proposition 30)
• Favoriser les logiciels et les ressources libres (proposition 38).
Mais vous avez aussi toute une série de propositions avec une terminologie managériale absconse et sans mode d’emploi…
Il y a enfin des propositions intrusives et menaçantes pour notre liberté pédagogique comme les propositions 6, 25, 26, 27 et 31.
Thème 1 : Mettre en place de nouvelles formes de gouvernance et de nouveaux outils d’anticipation.
Proposition 1 :
Organiser une nouvelle gouvernance plus participative au niveau nationale et dans les territoires.
L’idée est de « donner le pouvoir d’agir à la communauté éducative » par la mise en place de onze comités dont deux ministériels et un comité d’établissement pour en définir le projet numérique.
De l’autonomie enfin ?
Proposition 2 :
Créer une concertation ouverte et prolonger la dynamique des EGN.
Il s’agit de mettre en place « des lieux et des temps de dialogue ouverts » portant sur la formation, la fracture numérique, l’évaluation… Avec qui ? Quand ? Où ?
Proposition 3 :
Démontrer / tester le déploiement du numérique dans les territoires, une stratégie de démonstrateurs à accélérer.
Une sorte de Téléshopping du numérique ?
Proposition 4 :
Mettre en place un plan de continuité d’activité administrative et pédagogique.
Tremblez « professeurs décrocheurs » vous ne pourrez plus invoquer une mauvaise connexion.
Proposition 5 :
Renforcer l’attractivité pour tous et féminiser les filières et les métiers du numérique à travers une campagne de sensibilisation nationale.
Thème 2 : Enseigner et apprendre le numérique et avec le numérique.
Proposition 6 :
Renforcer la formation initiale et continue (culture numérique et compétences numériques professionnelles).
Elle évoque un nouveau référentiel pour lequel il va falloir aussi une formation afin d’espérer en saisir le sens : « Élaborer un référentiel décrivant finement les compétences numériques éducatives professionnelles (ingénierie de formation avec le numérique, médiatisation de ressources, prise en compte de l’accessibilité...). »
Elle met en avant les classes « hybrides » :
« Former à la création de scénarios de classes hybrides (synchrone, asynchrone, audio, vidéo, captation du seul tableau, podcasts, etc) avec les ressources associées. »
Elle met en avant de nouveaux types d’évaluations : « Repenser les méthodes d’évaluation en s’appuyant sur le numérique pour engager les élèves dans les processus d’apprentissage, réfléchir aux objectifs de l’évaluation, proposer des recommandations ciblées. »
Elle met en avant toutes les modes pédagogiques du moment : « Adapter les formations aux disciplines, au cycle d’enseignement et aux différentes pratiques pédagogiques (modalités mixtes (?), classe inversée, pédagogie par le jeu...) y compris aux pratiques innovantes permises par les outils numériques (machine learning, intelligence artificielle par exemple). »
Proposition 7 :
Certifier les compétences des professeurs avec PIX à l’entrée dans le métier et en cours de carrière.
Non PIX n’est pas un gadget.
Proposition 8 :
Diversifier les modes de formation au et par le numérique et conforter la place de Réseau Canopé comme opérateur de formation continue.
Il s’agirait surtout de formations à distance, de formation hybride, de l’auto-formation, de la formation avec et par les pairs dans une logique de « communauté apprenante ».
On va devoir encore tout faire nous-mêmes ou presque.
Proposition 9 :
Créer un compte « ressources et services numériques » pour chaque enseignant.
Il s’agit de pouvoir acheter des services numériques donc satisfaire un marché basé plutôt sur l’offre privée.
Proposition 10 :
Favoriser les projets associant chercheurs et enseignants.
Il s’agit de créer des outils et des logiciels… libres ?
Proposition 11 :
Développer des dispositifs et des services de télé-enseignement et de soutien à distance gratuits pour les élèves – conforter la place du CNED Académie numérique.
Blanquer a évoqué la possibilité pour les lycéens de suivre ainsi des spécialités qui ne seraient pas proposées dans leur lycée. Il acte donc qu’il faut faire des économies en réduisant l’offre dans les établissements.
Proposition 12 :
Développer la citoyenneté numérique et renforcer l’éducation aux médias et à l’information en s’appuyant sur le CLEMI.
Proposition 13 :
Certifier les compétences numériques des élèves avec PIX.
Proposition 14 :
Concevoir un espace numérique personnel pour l’éducation et l’orientation avec un portfolio des compétences pour les élèves en s’appuyant sur l’ONISEP.
Thème 3 : Garantir un égal accès au numérique pour tous/fracture numérique.
Proposition 15 :
Mettre en place un dispositif pour détecter et prévenir la fracture numérique et l’illectronisme.
Proposition 16 :
Fournir une aide ciblée à l’équipement numérique des élèves.
Notamment par des prêts de matériel aux élèves et parents repérés en difficulté.
Blanquer a annoncé le 12 novembre une capacité actuelle de 6 000 ordinateurs (pour 12 millions d’élèves).
Proposition 17 :
Fournir une aide à l’équipement de tous les professeurs.
Il s’agirait d’une prime annuelle pour l’équipement (150 euros par an à priori).
Proposition 18 :
Garantir un socle numérique minimal pour les écoles (1D en priorité) et les établissements.
« Renforcer les moyens de maintenance des équipements et infrastructures numériques des écoles et établissements (de la compétence des collectivités) en incitant la mutualisation des moyens (l’objectif étant d’avoir un technicien informatique par établissement). »
C’est une bonne nouvelle.
Proposition 19 :
Mettre en place le « Pass’connexion éducation » pour tous.
Il s’agirait de services ou de ressources éducatives auxquels les élèves et les professeurs pourraient accéder gratuitement ou à un coût très réduit. Encore une bonne nouvelle.
Proposition 20 :
Développer des outils et ressources spécifiques et des tiers-lieux ouverts pour les lycées professionnels.
Proposition 21 :
Accompagner et former les familles à la culture numérique en valorisant le PIX pour tous.
Proposition 22 :
Mettre en œuvre le référentiel d’accessibilité spécifique pour les ressources numériques éducatives.
Il s’agit de penser l’ « inclusion numérique ».
Thème 4 : Travailler ensemble autrement/culture numérique professionnelle commune.
Proposition 23 :
Généraliser un environnement numérique de travail pour tous les personnels avec des outils de travail collaboratifs.
Proposition 24 :
Encourager la mutualisation au niveau national de services numériques développés en territoire.
Proposition 25 :
Créer des dispositifs d’accompagnement des cadres pour organiser le « travailler ensemble ».
Pas d’explications précises ensuite… Il nous faudrait surtout du temps pour pouvoir travailler ensemble.
Proposition 26 :
Créer des dispositifs d’accompagnement pour l’animation des communautés éducatives et des collectifs de personnels.
Là encore c’est jargonnant mais bien vague.
Proposition 27 :
Mettre en place des démarches et des outils participatifs au sein des écoles et des établissements.
Ils n’avaient pas dû relire cette fiche parce qu’ils l’explicitent ainsi « Pour engager plus largement les acteurs et permettre d’adhésion, créer un climat de confiance ».
Proposition 28 :
Renforcer et mieux reconnaître les acteurs du numérique dans les territoires.
La fiche ne précise pas comment. Des openbadges peut-être ?
Thème 5 : Favoriser le développement d’un numérique responsable et souverain.
Proposition 29 :
Faciliter et encourager l’utilisation de matériaux recyclés.
Faciliter et encourager n’expriment pas vraiment une contrainte... c’est comme le protocole sanitaire « si possible ».
Proposition 30 :
Former aux bons usages et à la sobriété numérique.
Avec cette excellente explicitation « Intégrer le bien-être au travail dans les pratiques professionnelles avec le numérique (exemples : droit à la déconnexion, surexposition aux écrans...). »
Cette proposition est bien contradictoire avec toutes les injonctions précédentes du « tout-numérique ».
Proposition 31 :
Renforcer le cadre de confiance autour du Code de conduite pour les entreprises de la filière et promouvoir et former à la bonne utilisation des outils conformes au RGPD.
« Construire et promouvoir des outils performants qui donnent à l’Éducation Nationale l’indépendance numérique. »
C’est bien de penser à arrêter d’enrichir la société privée Index Education et son quasi-monopole Pronote.
« Donner des directives claires aux enseignants sur les outils et ressources à utiliser en respectant le cadre du RGPD et engager leur responsabilité. »
Attention donc aux outils numériques utilisés avec les élèves pour ne pas être engagés pénalement.
Proposition 32 :
Aider les laboratoires de recherche et assurer le transfert des innovations dans l’éducation.
Proposition 33 :
Lancer des challenges de l’innovation.
Proposition 34 :
Créer des accélérateurs de la diffusion de solutions innovantes.
?
Proposition 35 :
Définir un cadre général d’interopérabilité.
Proposition 36 :
Intégrer le programme européen GAIA X, cloud souverain pour l’hébergement des données scolaires.
Proposition 37 :
Créer l’ « Education Data Hub », la plateforme des données de l’éducation.
Il s’agirait de constituer des métadonnées sur toutes nos traces numériques, une manne et une mine d’or pour les GAFAM.
Proposition 38 :
Encourager l’utilisation de logiciels et de ressources éducatives libres.
Pas comme en 2015 avec le partenariat entre Microsoft et l’Education Nationale, ni comme les serveurs d’Amazon qui hébergeaient les « classes virtuelles » du CNED pendant le confinement ?
Proposition 39 :
Mettre en place des tiers lieux ouverts.
Quelques exemples sont ensuite donnés : « espace de vie, médiathèque, lieu polyvalent, Espace Public Numérisé, totems dans les écoles (?) ».
Proposition 40 :
Promouvoir l’offre numérique française et appuyer son développement à l’international.
Une trentaine de millions sont prévus, dans le cadre des « investissements d’avenir » et du plan de relance pour aider les entreprises privés de l’Ed TEch.
Les Etats généraux du numérique n’ont donc rien de bien révolutionnaires.
Cyrille Orlowski